Rubrique : Interviews
Date : 01 juin 2006
Les archéologues le savent bien, le jeu de rôle a divorcé du jeu de figurines quelque part au début des années 90. Dès lors, les deux milieux s'éloignent graduellement, et finissent par se séparer par consentement mutuel. Pour finir, les jdr ne proposent plus de règles pour figurines et la presse spécialisée doit choisir son camp.
Il faut attendre 2005 pour voir les gros éditeurs de jeux de figurines renouer avec le jeu de rôle. Chez Games Workshop, on choisit de s'allier avec les spécialistes de Green Ronin pour ressusciter Warhammer. Dans l'Hexagone, Rackham décide d'embaucher des vétérans de Multisim et privilégie le développement interne pour réaliser son premier jeu de rôle : Cadwallon.
Cadwallon pourrait être "un autre jeu de rôle médiéval-fantastique", mais le choix est fait de relever certains défis. D'une part, il faut adapter et développer l'univers d'Aarklash qui comprend déjà detrès nombreux fans à travers Hybrid, Confrontation et Rag'Narok. D'autre part il faut réaliser un jeu de rôle qui intègre les figurines au coeur de son système tactique : une première !
Grog : En quelques phrases, peux-tu nous présenter le concept et l'univers de Cadwallon ?
Sébastien Célerin : L'univers de Cadwallon est celui des jeux de figurines Confrontation, Rag'Narok et Hybrid : Aarklash. Il s'agit d'un monde déchiré par des guerres que se livrent des nations sous l'influence de dieux sans scrupules. Dans cet univers, il existe toutefois des zones franches qui refusent ce conflit. Cadwallon est l'une de ces cités indépendantes. Cadwallon s'appuie sur une gamme de figurines désormais célèbres : plus de mille combattants ont été proposés à ce jour (2006) ! C'est pourquoi le jeu est écrit avec le parti pris d'utiliser des figurines. Il est toutefois jouable sans. Notre idée était qu'il est plus facile de les laisser de côté que d'avoir à sedemander comment interpréter une règle avec.
Cadwallon n'est toutefois pas un D&D Miniatures ou un HeroQuest ou même un mode RPG pour Hybrid. Il s'agit d'un vrai jeu de rôle. Les scènes de roleplay sont bel et bien là. Et les figurines sont alors absentes, jusqu'au moment où quelqu'un, PJ ou PNJ, s'énerve ! Tout le monde est excité par l'idée d'explorer un bâtiment ou une caverne, de prendre un PNJ en filature, etc. Tout le monde a horreur qu'un personnage se téléporte dans une scène. Les figurines sont des outils qui facilitent la gestion de telles situations.
Grog : Peux-tu nous dire comment est née l'idée de Cadwallon, le jeu de rôle ?
Sébastien Célerin : Le créateur d'Aarklash, Jean Bey, est un joueur de jeu de rôle. Il se passionne pour les figurines depuis toujours. Il a travaillé chez Games Workshop avant de fonder Rackham avec Raphaël Guiton, passionné de figurines comme lui. Jean Bey rêvait d'un univers original qui se déclinerait sur de nombreux supports ludiques. Confrontation est né de cette envie. Rackham s'est développé pour permettre à ce rêve de se réaliser. Aujourd'hui que les figurines envahissent tous les secteurs du jeu spécialisé, il était temps pour Rackham de lancer son jeu de rôle avec figurines dans son univers.
Grog : Cadwallon est-il totalement indépendant de Confrontation ? Les suppléments Confrontation seront-ils nécessaires pour trouver les informations sur l'univers ou ces informations seront-elles reprises dans la gamme Cadwallon ?
Sébastien Célerin : Cadwallon est une gamme nouvelle, dans le même univers mais totalement indépendante. Ceux qui connaissent déjà le livre univers de Rag'Narok retrouveront des informations dans la gamme Cadwallon car nous avons souhaité parler au plus grand nombre. Tous ceux qui seront séduits par Cadwallon seront totalement autonomes avec le Manuel des joueurs qui est en fait le livre de règles. Nous l'avons appelé Manuel des joueurs afin qu'il soit clair que tout joueur est en droit de savoir ce que contient ce livre. Un autre volume dédié au MJ sort cet automne. Ce Guide du MJ se nommera Secrets. Ceux qui joueront à Cadwallon avec des figurines Confrontation auront l'occasion d'essayer ce jeu d'escarmouche et Rag'Narok car toutes contiennent un profil pour ces deux jeux de stratégie. Les règles d'initiation sont dans tous les blisters de Personnage, c'est-à-dire de référence portant un nom propre, comme Isabeau la Secrète.
Grog : Quels seront les futurs liens de développement avec le jeu de figurines ?
Sébastien Célerin : Les figurines et le monde. L'intérêt pour le background est le point commun des joueurs de jeu de rôle et de figurines, même s'ils en attendent des choses différentes. Aujourd'hui encore, malgré la publication d'un bimestriel, les fans de Confrontation nous en demandent toujours plus. La richesse d'Aarklash est telle que nous ne pouvons pas apporter des révélations pour tous les peuples à chaque numéro. Cette demande sera comblée peu à peu par des publications sur tel ou tel aspect d'Aarklash. On commence par Cadwallon avec un contenu jeu de rôle. Il s'ensuivra d'autres parutions plus générales sur les peuples d'Aarklash.
Grog : A quel type de développement doit-on s'attendre ? Des suppléments régionaux ? Une grande campagne ?
Sébastien Célerin : Après Secrets, une campagne sera publiée en fin d'année. Il s'agit d'une enquête sur une étrange vente d'artefacts. Parallèlement, la revue Cry Havoc proposera un contenu pour Cadwallon dans chaque numéro. Cet été (numéro 11), de nouvelles espèces sont introduites dans le jeu : géants, minotaures, centaures et trolls.
Grog : Quels sont les suppléments déjà prévus ? Quel sera le rythme de parution de la gamme ?
Sébastien Célerin : Pour l'année 2006 :
Grog : Les Reversible Gaming Tiles ne sont pas vendues comme un produit spécifique à Cadwallon. La gamme connaîtra-t-elle d'autres produits "génériques" de ce type ?
Sébastien Célerin : Oui. Il existe un tas de jeux de rôle aujourd'hui qui n'excluent pas les figurines. Ces plateaux de jeu sont aussi faits pour eux. En outre, les commercialiser séparément de Cadwallon permet à ceux qui n'envisagent pas de marier jeu de rôle et figurines de ne pas avoir à supporter financièrement ces dalles de jeu.
Grog : Des romans sont également prévus. Peux-tu nous en dire plus ? Est-il prévu de décliner l'univers de Confrontation à d'autres supports (BD, jeux vidéo, etc.) ?
Sébastien Célerin : Deux romans sont déjà parus. Celui qui accompagne Syd de Kaïber, La Faille de Kaïber, est plutôt orienté Rag'Narok. Celui de S'érum, Les Cendres de la Colère, se déroule sous Cadwallon. Mathieu Gaborit a écrit ces deux romans. D'autres sont prévus avec lui mais aussi avec d'autres auteurs. Pour ce qui est d'autres supports narratifs, nous avons en effet beaucoup d'envie. Des contacts ont été pris dans la BD. Affaire à suivre donc…
Grog : Quand on pense à un jeu de figurines et à un jeu de rôle, on en arrive inévitablement à un succès comme Warhammer ou à des échecs comme Technoguerrier. Si l'on fait la comparaison avec Cadwallon, qu'est-ce que ces jeux t'inspirent, ou au contraire ne t'inspirent pas ?
Sébastien Célerin : Technoguerrier, tout comme Inquisitor, n'est pas un jeu de rôle à mes yeux car les scénarios proposés ne contenaient peu, voire pas du tout, de roleplay. Quant à Warhammer, j'ai été stupéfait de constater que l'utilisation des figurines était bâclée en quelques lignes dans un encadré. Cela dit, les choix qu'ils ont faits pour les règles de mouvement ne leur permettent pas de développer une dimension tactique sur dalles de jeu vraiment intéressante. Les règles de Cadwallon s'appuient elles sur des points d'action. Cela permet de simuler différentes vitesses de déplacement tout en intégrant la notion d'essoufflement des protagonistes.
Grog : Les rôlistes n'ont souvent plus le temps de peindre des figurines. Des figurines prépeintes ou papier sont-elles envisagées ?
Sébastien Célerin : Pas pour le moment. Les joueurs de figurines n'ont pas eux non plus le temps de peindre leurs figurines. Certains n'en ont d'ailleurs pas l'envie. Ce n'est pas grave. L'important, c'est de s'amuser ! Si je pense que les MJ seront réticents à peindre des figurines avant chaque partie, je crois que les joueurs n'hésiteront pas à peindre leur personnage.
Grog : Que devient le système si l'on choisit de ne pas utiliser les figurines ?
Sébastien Célerin : Les cases deviennent des multiples d'1,5 mètres. Les règles de déploiement sont ignorées. Les autres règles sont appliquées. Les points d'action de Cadwallon s'utilisent tout à fait sans plateau de jeu. Ils sont là pour rythmer la partie, garantir que tout le monde pourra parler autour de la table (MJ compris). Ils sont matérialisés par des dés. Ce système permet en outre d'initier les plus jeunes aux jeux de rôle.
Grog : Le système de jeu propose quelques spécificités comme les paris. Peux-tu nous en dire plus ?
Sébastien Célerin : En jeu de rôle, il n'y a pas de plaisir sans prise de risque pour son personnage. Cette notion a très bien été illustrée par les augmentations des systèmes L5R et 7ème Mer. Elle est présente dans Cadwallon car nous sommes beaucoup dans l'équipe à avoir adoré cette règle dans ces jeux. Nous n'avons pas d'échec critique car je pars du principe qu'en jeu de rôle tout échec est critique. C'est d'autant plus vrai sur plateau de jeu car on ne peut pas dire "on fait comme si j'étais pas vraiment là et que ma chute n'était pas si grave."
Grog : Cadwallon inclut-il une meta-intrigue ?
Sébastien Célerin : Oui, plusieurs en fait. Secrets révélera des informations sur la Cité franche aux MJ - et aux tricheurs qui y jetteront un coup d'œil ! Ce Guide du MJ proposera en plus des révélations sur les informations du Manuel des joueurs des intrigues à développer par les MJ selon un format commun. Qu'est-ce qui s'est passé jusqu'à maintenant ? Qui sont les alliés des protagonistes ? Qui sont leurs ennemis ? Qu'est-ce qui va se passer maintenant que les joueurs ont créé des personnages ? Ce supplément proposera par ailleurs des conseils pour gérer les situations tactiques des pièges, des PNJ clefs, des révélations sur la nature mystique de la cité (pourquoi certains dieux ne répondent-ils pas aux appels de leurs fidèles dans cette cité ?).
Grog : A un niveau plus personnel, peux-tu nous parler de ton boulot chez Rackham ?
Sébastien Célerin : Je suis responsable d'édition chez Rackham depuis septembre 2003. Mon travail consiste à trouver de nouveaux concepts de jeux, de scénarios, d'articles, etc. et à les faire réaliser par des concepteurs de l'entreprise ou des auteurs indépendants. Ces projets doivent s'appuyer sur la volonté éditoriale de Rackham qui repose sur des partis pris esthétiques forts. Je participe donc activement aux projets. Mon rôle est celui d'un timonier. Je ne fixe pas le cap à suivre, mais je m'assure que les choix de la direction éditoriale soient concrétisés.
Grog : Vous n'en avez pas marre de débaucher tout le staff de Casus ?
Sébastien Célerin : Je m'y attendais pas à celle là ! C'est donc le moment de dire la vérité, toute la vérité.
Arnaud Cuidet collabore au projet Cadwallon depuis le premier jour, en septembre 2003. On se remettait de la canicule de l'été et on parlait de mon prochain boulot, après Multisim. Arnaud était déjà un concepteur de règles que j'estimais pour son travail sur Nephilim : Révélation, le système de combat de RétroFutur et surtout sur les aides de jeu de Casus. Je savais qu'il était un grand joueur de D&D.
Je me souviens lui avoir dit "faudrait un jdr tactique qui s'assume. Tu crois pas que D&D serait mieux avec la dimension figurine dans le bouquin de base ?" Et lui de me faire remarquer que la figurine n'était pas le fond de commerce de Wizards. Au fil des mois, Arnaud s'est passionné pour Confrontation et son univers. Lorsque le développement de Rackham a exigé un nouveau rédacteur, on a proposé le poste à plusieurs auteurs de Cadwallon, et c'est lui qui a eu le poste. On doit pouvoir dire que je l'ai débauché. Hélène Henry a remplacé Ivo Garcia (ex correcteur freelance et co-auteur de Guildes : El Dorado) au poste de secrétaire d'édition. Elle a répondu à notre annonce, comme beaucoup d'autres. On l'a recrutée car elle… venait de Casus. Non, c'est pas vrai ! Il y avait beaucoup de candidats, mais Hélène avait des compétences éditoriales, une expérience professionnelle et l'envie de découvrir une logique éditoriale différente de celles qu'elle connaissait déjà. D'autres collaborateurs indépendants ont collaboré à Cadwallon pendant qu'ils pigeaient pour Casus : Bruno Béchu, Damien Desnous, Vincent Kaufmann, Grégoire Laakmann, Willem Peerbolte, Franck Plasse et Xavier Spinat. Il ne reste plus qu'à citer Ivo Garcia et Nicolas Raoult, mais eux ils ne pigeaient pas pour Casus ! Sur notre prochain univers, on a aussi engagé Jean-Baptiste "l'ogre-mercenaire" Lullien qui a beaucoup travaillé en freelance… pour Casus. Jean-Baptiste est passionné par les robots et la technologie depuis des années. Il développe AT-43 avec Jérôme Rigal.
Grog : Faire un jeu de rôle dans une société habituée à faire du jeu de figurines, est-ce que ça te met la pression ?
Sébastien Célerin : Plus maintenant. La même question il y a encore un an ou deux, quand la première date de sortie a été annoncée… et je ne répondais pas à l'interview ! On n'était pas prêt. Jean Bey l'a senti et il nous a donné les moyens d'avoir du temps, en programmant la troisième édition Confrontation et son premier supplément Dogs of War. Ces deux projets ont permis à toute l'équipe (auteurs, illustrateurs, modélistes, peintre, sculpteur) de terminer Cadwallon sereinement. En travaillant quelques mois de plus, on aurait peut-être évité un court errata ou amélioré la qualité esthétique de l'ensemble, mais faut bien s'arrêter à un moment.
Grog : Le chiffre d'affaires d'un jeu de rôle n'a rien à voir avec la figurine. Est-ce que ça a été un problème ?
Sébastien Célerin : Non, pas du tout. Aarklash a des fans dans 41 pays, en 5 langues. Cette réalité nous a permis de mettre le paquet sur les visuels et le graphisme, en travaillant avec des artistes reconnus depuis des années - Paul Bonner, Gary Chalk et Paolo Parente - et des talents plus jeunes mais plus proches des jeux aussi - Nicolas Fructus, Edouard Guiton et Florent Maudoux. Et surtout, cela nous a permis de prendre notre temps, en rémunérant les concepteurs en plusieurs fois : conception, premier jet, réécriture, parution. Ce qui est très rare dans le jeu de rôle. En outre, nous avons fait un jeu de rôle avec figurines car nous sommes convaincus que les anglo-saxons notamment attendent beaucoup d'une innovation dans ce domaine. Notre distributeur aux USA le croit lui aussi. Cadwallon est d'ores et déjà traduit. Le jeu sort cet été (2006), à la GenCon USA.
Grog : Selon toi, on peut donc faire d'un jeu de rôle un produit rentable ?
Sébastien Célerin : En fait, ce n'est pas vraiment la question. La question est "est-ce que j'ai bien dépensé pour ce que je peux gagner ?" Par le passé, j'ai participé à des aventures éditoriales bien moins ambitieuses, en termes de dépenses. Toutes ont été amorties. Beaucoup ont même été rentables : Agone, Guildes et Nephilim. Et pourtant Guildes est sorti en pleine explosion du phénomène Magic ! Il est tout à fait possible de produire du jeu de rôle et de ne pas perdre d'argent, et ce en payant tout le monde. C'est une affaire de projet et de ligne éditoriale.
Une fois que tu acceptes que Dark Earth ou RétroFutur ne sont ni Nephilim ni Agone, et encore moins Cadwallon, ça ne peut que bien se passer. Si tu souhaites monter une équipe de plusieurs dizaines de personnes pour réaliser un 352 pages en couleurs, comme Cadwallon, il te faut un grand éditeur, comme Rackham. Si tu as envie de partager un univers personnel qui se prête bien à un traitement noir & blanc, tu peux très bien parvenir à le faire publier par un distributeur qui le commercialisera sérieusement. Cependant, tu ne bénéficieras pas d'un regard critique d'éditeur. Proposer ton projet en ligne pendant quelques mois peut t'aider à y voir clair et permettre à ton projet de mûrir.
Grog : un petit mot de la fin pour les futurs joueurs de Cadwallon ?
Sébastien Célerin : A Cadwallon, tout se paye ! Ton personnage veut un truc, il faut qu'il paye en or sonnant et trébuchant. Tu veux faire quelque chose avec ton personnage ? Il faut que tu payes, en sacrifiant des points d'action. Sans compter que tes contacts, comme tes ennemis, n'ont pas la mémoire courte. Ils te feront payer tes écarts de PJ en quête de gloire et de richesse, un jour ou l'autre.