Par Hervé
Rubrique : Interviews
Date : 30 juin 2007
Longtemps décrié, touchant une partie minoritaire de la population, le jeu de rôles n'a pas fait l'objet de beaucoup d'études sociologiques. Il faut néanmoins se rappeler la sortie le 10 mai 2001 de "Jeux de rôles, jeux vidéo, multimédia. Les faiseurs de mondes". Paru aux Presses Universitaires de France, Laurent Trémel pose dans cet ouvrage les bases d'une sociologie de ces nouveaux loisirs.
Ce qui intéresse l'auteur à travers l'usage de ces nouvelles pratiques culturelles, c'est l'évolution des modes de socialisation de la jeunesse. Mais au-delà de l'oeil exercé du scientifique, Laurent Trémel connaît aussi le jeu de rôles de l'intérieur : il a participé à l'élaboration de plusieurs jeux, comme l'atteste sa biographie sur le Grog. Et ses sources comportent entre autres une enquête menée en partenariat avec Casus Belli. Travail d'enquête et analyse lui auront donc permis de rédiger un ouvrage de 309 pages :
Jeux de rôles, jeux vidéo, multimédia. Les faiseurs de mondes
par Laurent Trémel
Presses Universitaires de France (mai 2001)
ISBN : 978-2-13-051578-9
Son auteur a bien voulu se prêter au jeu de l'interview :
Q - Bonjour Laurent. Avant de vous entendre présenter votre ouvrage, nous vous avions déjà contacté : en 2002 vous nous fournissiez votre biographie en tant qu'auteur de jeu de rôles. Parmi les jeux auxquels vous avez participé, lequel vous a laissé les meilleurs souvenirs en tant qu'auteur, et pourquoi ?
Laurent - Tout d'abord, je tiens à souligner que je ne m'exprime pas ici en tant qu'auteur de jeu de rôles. La création de jeux de rôles, cela date de 20 ans, depuis, de l'eau est passée sous les ponts, vous en conviendrez...
Pour répondre à votre question ceci dit, il est vrai que j'ai gardé d'excellents souvenirs de ma participation à la création de JDR chez Théry-Bouchaud et Cie / Siroz Production. Le travail le plus abouti était sans doute Berlin 18 (nous avions effectué là beaucoup de recherches), mais les meilleurs moments furent sur Whog Shrog : du pur délire : je me souviens encore du "brainstorming" à propos de la scie circulaire !
Q - Vous dites dans votre biographie avoir voulu "faire réfléchir les rôlistes sur des questions de société", à travers les jeux de Siroz auxquels vous avez participé. Si c'était à refaire, comment verriez-vous la chose ? Quel(s) sujet(s) particulier(s), selon vous, mériterai(en)t que les rôlistes découvrent ou approfondissent ?
Laurent - Difficile de répondre à la question. Quand nous avons créé nos jeux, nous avions à peine le Bac en poche, quelques idées politiques d'où naissait le désir que la société soit plus juste (ce qui explique les thématiques de certains jeux où les personnages luttent contre des pouvoirs totalitaires), et étions bien jeunes ! Si je devais réécrire ces textes aujourd'hui, ils présenteraient des aspects bien différents, plus "savants" et plus "matures" probablement, moins drôles aussi sans doute... Mais, il n'est pas sûr qu'ils "rencontreraient" alors leur public, qui pourrait trouver rébarbatif l'aspect "cours de socio"... L'absence d'Eric Bouchaud et de Nicolas Théry, qui ont définitivement "raccroché les gants" se ferait aussi sentir !
Q - Quelle place le jeu de rôles a-t-il représenté dans votre vie professionnelle ? Actuellement (2007), quels sont vos sujets d'étude : jeu vidéo, cinéma, autres loisirs ?
Laurent - Je n'ai jamais vraiment envisagé la création de jeux de rôles dans une perspective professionnelle. Entre 1985 et 1987-1988, j'ai travaillé quelques idées, en tant que meneur de jeu (système de règles, concept de scénario-jeu, etc.) qui ont été publiées par Siroz, ceci en parallèle à un engagement plus politique. Ensuite, j'ai réalisé mon mémoire de maîtrise sur le jeu de rôles, à une époque où cette activité ludique était très décriée. Il m'importait alors de contribuer à faire la part des choses. Les jeux de rôles étaient l'objet de procès d'intention assez spécieux et je tenais à l'établir.
Mais, en même temps, il m'importait aussi d'interroger les éléments problématiques liés à cette activité ludique : logique de "compensation", risque d'enfermement des joueurs dans une sphère culturelle qui n'est pas la plus légitime. L'universitaire qui avait encadré mon mémoire de maîtrise, Anne-Marie Green, était une passionnée de théâtre, très marquée par le mouvement du TNP et du festival d'Avignon. Elle trouvait la culture des jeux de rôles assez pauvre, même si elle ne la méprisait pas. Elle n'avait pas tort, d'autres domaines (le théâtre, la musique et la littérature classiques, les "cultures urbaines" telles que le rap, etc.) que les rôlistes ont parfois un peu de mal à appréhender, apportent aussi beaucoup.
Au travers de ma thèse (1993-1999), j'ai poursuivi ce travail d'analyse, en approfondissant certaines choses (une étude des contenus des jeux de rôles les plus joués alors notamment), en réalisant une enquête de terrain d'ampleur auprès des joueurs (entretiens, observations de parties, passation de questionnaires) et en commençant à m'intéresser aux jeux vidéo. J'ai travaillé par la suite sur le cinéma, la télévision, pour aboutir à une réflexion sur l'éducation à l'image.
Actuellement (juin 2007), je coordonne la rédaction d'un ouvrage, "La culture audiovisuelle : une nouvelle forme d'éducation populaire ?", associant plusieurs auteurs de France et du Québec, qui constituera une nouvelle étape dans ces travaux.
Q - Quel est l'historique de "Jeux de rôles, jeux vidéo, multimédia - Les faiseurs de mondes" : quand avez-vous entrepris de l'écrire, et dans quel cadre ? Combien de temps cela vous a-t-il pris ?
Laurent - La première partie de ce livre est tirée de ma thèse, la seconde résulte d'un travail d'enquête effectué en 1999-2000 sur la pratique des jeux vidéo, dans une perspective comparative. Ces travaux s'inscrivaient dans le cadre de réflexions menées alors au sein du Groupe d'études sociologiques de l'INRP, et notamment d'une recherche intitulée "Enfance et politique", où nous analysions les modes de socialisation de la jeunesse. L'ensemble rend compte d'une démarche s'étalant sur une dizaine d'années.
Q - Quels sont les avantages et inconvénients du jeu de rôles par rapport à d'autres loisirs, dans l'optique d'une étude sociologique ? Le public réduit n'est-il pas une forte contrainte ?
Laurent - La population des rôlistes apparaissait, au milieu des années 1990, relativement homogène en des termes socioculturels : au niveau du sexe (sexe masculin pour l'essentiel), de l'âge (15-25 ans) et du milieu socioprofessionnel d'origine (appartenance aux classes "moyennes-supérieures"). Ces éléments m'étaient apparus en visitant plusieurs clubs dans différentes régions de France. Ils ont été confirmés par la passation de questionnaires, puis par l'enquête menée en partenariat avec le magazine Casus Belli en 1995, avec l'aide d'étudiants de Paris X.
Cela autorisait alors à établir certaines hypothèses, faisant un parallèle entre les logiques révélées par la pratique du jeu de rôles - le "leveling" notamment - et la situation sociale de ses pratiquants : des "jeunes" en quête de reconnaissance sociale, dans une société en crise n'étant plus à même de fournir à ses enfants des marqueurs identitaires réellement valorisants.
Je ne veux pas dire par là que les rêves de cette population étaient illégitimes (ils sont au coeur de la société française d'après la seconde guerre mondiale), qu'il s'agissait là de "marginaux", ou "d'aigris". L'approche sociographique permettait d'établir que les aspirations et le mode de vie des rôlistes (lectures, musiques écoutées, rapport à la scolarité, etc.) étaient très semblables à ceux des autres jeunes partageant des conditions d'existence similaires. Mais, à l'inverse des "non joueurs", justement, la pratique des jeux rôles leur permettait de "modéliser" leurs aspirations d'une manière qui "faisait sens".
D'autre part, il faut préciser que dans les années 1990, avant les "polémiques" (cf. les suites de la profanation de Carpentras notamment), les rôlistes étaient une denrée plus abondante qu'aujourd'hui ! On n'avait pas de mal à en trouver : dans beaucoup de villes (en MJC notamment) et dans les foyers socioculturels des collèges et lycées, des activités JDR prenaient place ! On estimait alors la population à environ 200.000 personnes.
Q - De quel(s) autre(s) loisir(s) le jeu de rôles se rapproche-t-il le plus, sur le plan du public ? Et quelles sont ses spécificités, s'il en a ?
Laurent - Dans les "Faiseurs de mondes", je démontre que les jeux vidéo, surtout ceux se pratiquant sur PC, se sont beaucoup inspirés des mécanismes ludiques des jeux de simulation (jeux de rôles, jeux de ressources, wargames). Les industriels du loisir ont bien compris que ceux-ci permettaient de modéliser les attentes d'une jeunesse, bercée dans les idéaux de mobilité sociale ascendante, mais confrontée à la déqualification professionnelle et à un avenir incertain. Ils rendent possible de façon mécanique, et à une échelle bien plus importante que le jeu de rôles sur table, pour leurs pratiquants, d'accumuler des "grandeurs" dans des univers virtuels (on y incarne des "grands hommes" : puissants guerriers, chefs d'états, sportifs de renom, "managers", etc.), en parallèle à une "vraie vie" problématique.
Les "gamers" évoluent là dans un univers programmé, dont les représentations graphiques modélisent de plus en plus la réalité. D'autre part, tout l'aspect "réflexif" des jeux de rôles y est fortement réduit : dans une partie de jeu de rôles, vous avez la possibilité d'interpeler le meneur de jeu, de discuter certains paramètres du scénario, là c'est par définition impossible. Les mécanismes ludiques des jeux de simulation sur table et des jeux vidéo présentent des similitudes, mais les jeux de rôles sont également à l'origine de phénomènes de socialisation "autour de la table de jeu", permettant de prendre du recul par rapport à la pratique, et d'être confrontés à des individus réels, que l'on ne retrouve pas avec les jeux vidéo, même ceux se pratiquant "en ligne".
Dans une perspective citoyenne, étant donné leurs implications philosophiques, politiques même, pouvant aboutir à des formes de contrôle social, je pense que les jeux vidéo présentent aujourd'hui des aspects problématiques. Je m'étonne que cette dimension ne soit pas davantage mise en avant par les "acteurs sociaux", le débat sur cette activité ludique se résumant actuellement à des questions assez simplistes, du style : "les jeux vidéo rendent-ils fous ?", "les jeux vidéo rendent-ils violent ?".
Q - Votre travail ne traite pas que des jeux de rôles. Quelle place ces derniers prennent-il dans votre livre ? Quelle articulation avez-vous fait entre ces différents sujets ? Sont-ils réunis pour mettre en valeur leurs points communs ou leurs différences ?
Laurent - Il me semble que j'ai déjà un peu répondu à cette question : dans les "Faiseurs de mondes", la partie sur les jeux vidéo a été construite dans une perspective comparative. Les joueurs de jeux vidéo (sur PC) m'apparaissaient alors plus "conventionnels" que les rôlistes : ils n'avaient pas cette étiquette de "marginaux" que la société a accolé aux rôlistes dans les années 1990, ils consommaient des produits dont ils tendaient à assimiler les "valeurs", même si certains indiquaient vouloir les contredire (aspects ambigus du piratage informatique par exemple).
Q - Avant votre livre, Didier Guiserix avait déjà publié "Le Livre des Jeux de Rôle" en 1997, un ouvrage non sociologique mais plus d'information générale. Ce livre vous a-t-il servi, avez-vous rencontré son auteur ? Y a-t-il d'autres publications traitant du jeu de rôles - en français ou non - qui ont pu vous influencer ?
Laurent - Oui, j'avais lu le livre de Didier Guiserix et d'autres livres conçus dans la même logique : faire découvrir le JDR au grand public. Je connaissais par ailleurs son auteur depuis... quelques années dirons-nous... et avais pour lui une grande estime. Mais notre objet était différent. Lorsque je parle de cet ouvrage, c'est plus pour le questionner, montrer en quelle mesure il contribue à produire un discours de justification de la pratique du jeu de rôles. Au même titre, d'ailleurs, que le livre d'Olivier Caïra, ce qui, là, est plus gênant... Même si ce sociologue se définit comme "pragmatique", ne cache rien de ses bons contacts avec les éditeurs de jeux, telle n'est pas selon moi la démarche devant être développée par un scientifique.
Après, je reconnais aussi qu'en sociologie, il y a plusieurs "écoles" et que ce que je perçois comme étant des errements (ce mépris affiché pour la démarche sociologique "classique", un travail de terrain mené auprès de rôlistes composant un échantillon potentiellement biaisé, car auquel il est lié par des liens amicaux, le tout en parallèle à un travail très insuffisant de présentation des écrits scientifiques déjà produits sur la question) peut apparaître comme "novateur", voire "osé", dans certains cercles intellectuels "branchés" de la capitale, où il est de bon ton de dénigrer les approches jugées "classiques" (la sociologie d'inspiration marxiste ou bourdieusienne notamment). J'ajouterai que ce positionnement "pragmatique" a peut-être pour vocation à devenir le modèle "dominant" dans le contexte actuel de redéfinition des missions de l'Université.
Pour en revenir à ma thèse, je recense un certain nombre de travaux (scientifiques) ayant alors été élaborés sur le jeu de rôles, ce sont plutôt eux par rapport auxquels je me suis positionné (je pense notamment à ceux de Fine, ou d'Hélène Landron).
Q - A quel public votre ouvrage est-il destiné ? Est-il encore disponible, et où peut-on se le procurer ? Combien d'exemplaires ont-ils été déjà distribués ?
Laurent - Le public concerné par les "Faiseurs de mondes" est assez large, ce qui explique qu'il s'est "bien vendu" (pour un ouvrage de sciences sociales (...) : tout est relatif, on a dû dépasser le millier d'exemplaires...) : étudiants, chercheurs, parents, professionnels de l'action éducative désireux d'en savoir plus sur les logiques de ces "nouveaux loisirs" que sont les jeux de rôles et, surtout, les jeux vidéo.
Mais, attention, ici, contrairement à d'autres productions, les rôlistes n'y sont pas caressés dans le sens du poil, l'impression peut être désagréable... On peut toujours acheter le livre, distribué par l'intermédiaire des PUF un peu partout, si vous le commandez. Ceci dit, désolé, mais aucune "ristourne" n'est prévue lorsque vous l'achetez par l'intermédiaire de la FFJDR...
Q - Quels ont été les principaux retours concernant votre travail ? Savez-vous quel public s'y est le plus intéressé : sociologues, joueurs (rôliste ou vidéo), professionnels (éditeurs...) ?
Laurent - J'ai eu pas mal de "retours" en effet. Au niveau scientifique tout d'abord. Récemment, il y a eu l'usage, assez spécieux, qu'en a fait Olivier Caïra. Je l'ai déjà évoqué, son bouquin constitue un bien mauvais travail de mon point de vue d'ailleurs. Pour la partie sociologique, l'auteur se focalise sur "Les faiseurs de mondes", certes, mais il l'a visiblement lu en diagonale... Ce qu'il en dit révèle beaucoup d'imprécisions, des contresens et des contrevérités même. Déplorable de la part d'un universitaire. Il peut aussi paraître étonnant que quelqu'un qui n'ait pas soutenu de thèse (diplôme nécessaire à l'exercice d'un emploi d'enseignant-chercheur statutaire) ait pu ainsi publier aux éditions du CNRS.
Je ne veux pas dire par là que quelqu'un qui n'est pas docteur ne peut pas réfléchir sur la question et s'exprimer. Mais nous parlons ici d'une publication scientifique. Caïra a débuté des études doctorales au milieu des années 1990 (notons au passage que les étudiants jugés aujourd'hui les plus "brillants" soutiennent leur doctorat en trois ans), il soutiendra sans doute un jour une thèse. Mais, au moment où je m'exprime (juin 2007), tel n'est pas le cas. En attendant, il ne peut être présenté comme un scientifique reconnu, ses hypothèses de travail n'ayant pas été validées par ses pairs (ou non) lors d'une soutenance publique.
Merci, par conséquent, de m'avoir donné la possibilité de présenter dans vos colonnes ma démarche plus complètement, même si je regrette que le débat n'ait pu avoir lieu plus tôt après la sortie de son livre. Après la large publicité accordée à l'ouvrage de ce "sociologue pragmatique" dans le milieu des rôlistes, je pense que c'était important que ceux-ci puissent ainsi faire la part des choses, notamment par rapport au contenu de mon travail, qu'il caricature.
Pour revenir à des éléments plus positifs, on peut se reporter aux notes de lecture ayant été rédigées suite à la publication de ma recherche aux PUF : Esprit (décembre 2001), Sciences humaines (n°120, octobre 2001), Education et Sociétés (n°7, 2001), Revue française de sociologie (vol. 4, 2002), Revue française de pédagogie (n°141, octobre-novembre-décembre 2002), Agora débats-jeunesses (n°29, 2002), Revue de l'institut de sociologie (n°1-4, 2001, paru en 2003), Informations sociales (n°111, novembre 2003). Et j'en oublie.
De façon plus informelle, j'ai eu aussi beaucoup de contacts depuis avec des rôlistes ou d'anciens rôlistes, qui ont en général bien apprécié le travail. D'après ce qu'ils m'ont dit, cela leur a, tout d'abord, permis de comprendre en quelle mesure ils ont pu servir de "boucs émissaires" à une société, médiatique, empêtrée dans ses propres contradictions. Mais le livre leur a aussi donné l'occasion de s'interroger sur eux-mêmes, sur ce qu'ils venaient rechercher dans le jeu de rôles en parallèle à la "vraie vie". En discutant avec eux, je me suis aperçu que c'est cet aspect des choses qui les a le plus intéressé. Après, difficile de savoir précisément l'usage que chacun des "publics" que vous mentionnez a pu en faire, mes connaissances en marketing sont limitées et je n'ai pas cherché à séduire des "publics cible"...
Q - Avez-vous déjà entrepris ou envisagé une suite à votre livre concernant (entre autres) les jeux de rôles ? Y a-t-il une facette de ce loisir que vous aimeriez approfondir davantage, et qui soit peu voire non couverte dans votre ouvrage ?
Laurent - L'ouvrage que j'ai co-écris l'année dernière (2006) avec Tony Fortin et Philippe Mora aux éditions l'Harmattan ("Les jeux vidéo : pratiques, contenus et enjeux sociaux") se présente un peu comme une "suite" des "Faiseurs de mondes"... Ou tout du moins un complément. Le travail de Philippe Mora montre bien, notamment, quelles logiques se révèlent dans un autre "micro milieu", celui des joueurs de LAN. Je pense aussi qu'il serait intéressant de revenir un peu sur la population des rôlistes et la pratique des jeux de rôles en 2007, sujet sur lequel on ne sait pas grand chose (je parle là d'un point de vue scientifique), mais on ne peut pas tout faire et je travaille actuellement sur d'autres chantiers ! Je passe donc bien volontiers le relais à d'autres.
Q - Comment avez-vous réalisé votre "tour d'horizon" de la population rôliste ? Quelles études avez-vous entrepris, quelles sources avez-vous utilisé, afin de dresser un panorama des joueurs de jeu de rôles ?
Laurent - Ce serait un peu complexe d'entrer dans les détails. Le tout est décrit avec précision dans "Les faiseurs de mondes"... Une bonne occasion d'acheter le livre donc ! Comme disait Gygax quand on l'interrogeait sur le message qu'il voulait faire passer aux joueurs de D&D : "Buy more !". J'espère toutefois que cette boutade ne sera pas reprise dans quelques mois dans un ouvrage aux prétentions scientifiques, faisant l'économie d'une analyse rigoureuse de mes travaux, mais allant "pêcher des infos" sur le Net, pour chercher à me discréditer... Par les temps qui courent, on ne sait jamais !
Q - La population rôliste est-elle selon vous plutôt homogène, ou au contraire très diversifiée ? Qu'est-ce qui explique que ce loisir soit - et reste - minoritaire dans le monde occidental ? Quels sont les obstacles à son développement ?
Laurent - Dans les années 1980-1990, la population rôliste paraissait assez homogène. Aujourd'hui, je ne saurais dire vraiment ce qu'il en est... De même, impossible de répondre à vos autres questions, je n'ai pas envie de me perdre en conjecture !
Q - Six ans après la publication de votre livre, votre analyse est-elle encore d'actualité ? Selon vous, les rôlistes ont-ils évolué, en nature comme en quantité, et avez-vous idée des évolutions prochaines que notre loisir pourrait connaître ? Est-il menacé - sous sa forme papier tout au moins - à plus ou moins brève échéance ?
Laurent - La sociographie de la population des rôlistes des "Faiseurs de mondes" est dépassée, ça, c'est sûr... Elle date du milieu des années 1990. Elle reste par conséquent à faire pour la période contemporaine. Il faudrait que quelqu'un de courageux s'atèle à cette tâche d'ampleur, car je pense que cela constitue la première étape de tout travail scientifique. Sans ces éléments, on ne peut que "gloser" sur la question... Je pense néanmoins que certaines logiques analysées dans mon livre sont toujours efficientes. Et pour le reste, je le répète : je ne suis pas futurologue !
Q - A l'époque où vous avez entrepris votre étude, comment le jeu de rôles était-il perçu par les médias et la population ? Pensez-vous que cela a évolué, et de quelle manière ?
Laurent - A l'époque le jeu de rôles était plutôt mal perçu à vrai dire... Comme je l'ai évoqué, au cours des années 1990, plusieurs procès d'intention ont été faits aux jeux de rôles. J'explique cela en détail dans les "Faiseurs de mondes". Aujourd'hui, les professionnels du jeu vidéo, bénéficiant de bons relais dans les médias et des moyens (financiers notamment) pour diffuser leurs idées, ont entrepris de légitimer culturellement, et socialement, leurs produits. Dans cette perspective, ils évoquent souvent les jeux de rôles sur table dans une perspective "nostalgique" et "positive" : ils ont besoin de faire reposer leurs productions sur un "patrimoine" en quelque sorte...
Les jeux de rôles ont donc "meilleure presse", si je puis dire, mais cette exploitation a posteriori m'interroge... Ils restent aussi l'objet de vives critiques de la part de certains : je pense par exemple aux travaux d'Ariès, publiés aux éditions Golias, ou encore à ceux d'Isabelle Smadja présentant les rôlistes comme des fanatiques de Tolkien assez inquiétants.
Q - Si vous deviez répondre aux questionnements de certains parents ou amis, comment présenteriez-vous le jeu de rôles à des néophytes ? Ou quelle démarche leur conseilleriez-vous afin d'en apprendre plus ?
Laurent - Je ne m'inscris pas dans cette logique. Mon but n'est pas de me comporter en "prescripteur". Puisque vous l'avez mentionné, je pense que le livre de Didier Guiserix constitue toujours une bonne référence pour répondre à ces objectifs. Il y a aussi pour cela désormais des sites Internet dédiés : le vôtre, ou celui de la FFJDR par exemple.
Merci à Laurent d'avoir répondu à nos questions.